Le Défenseur des droits pointe dans un rapport les graves dysfonctionnements de l’Anef
Nous relayons le communiqué de presse du Défenseur des droits qui pointe, dans un édifiant rapport (« L’Administration numérique pour les étrangers en France (ANEF) : une dématérialisation à l’origine d’atteintes massives aux droits des usagers« ), les très nombreux dysfonctionnements de l’ANEF – voie de dématérialisation des démarches préfectorales.
Ces dysfonctionnements sont lourds de conséquences, puisqu’ils entraînent des ruptures de droits, des pertes de contrats de travail…
Dématérialisation des demandes de titres de séjour via l’ANEF : des ruptures de droits graves et massives
11 décembre 2024
Plus de quatre ans après le début du déploiement de l’Administration numérique des étrangers en France (ANEF), plateforme dématérialisée pour les demandes de titres de séjour des ressortissants étrangers, le Défenseur des droits est saisi de dizaines de milliers de réclamations. Il publie ce jour un rapport qui fait état des nombreuses carences de cet outil numérique et des graves ruptures de droits qui en découlent pour les usagers.
Un outil dématérialisé aux défaillances importantes
Déployée depuis 2020 dans un objectif de simplification des démarches administratives, l’ANEF s’est imposée comme canal unique dématérialisé pour les demandes de certains titres de séjour par les ressortissants étrangers. Or, depuis la mise en service de cet outil, le Défenseur des droits est saisi de très nombreuses réclamations de personnes qui ne parviennent plus à accomplir les démarches nécessaires à l’obtention d’un titre de séjour ou à recevoir une réponse dans un délai normal, y compris s’agissant d’un simple renouvellement.
Le service manque à sa promesse de simplification des démarches administratives. Problèmes techniques persistants, choix ou impensés dans la conception de l’outil sources de difficultés, déploiement parcellaire et manque d’informations aux usagers, absence de flexibilité pour compléter ou modifier une demande déposée… L’outil souffre de nombreuses limites qui affectent tant le dépôt que l’instruction des demandes de titres.
Entre 2020 et 2024, le nombre de réclamations reçues par l’institution du Défenseur des droits en matière de droits des étrangers a cru de 400 %. En 2023, ce nombre représentait un quart du total de ses réclamations – il sera sans doute d’un tiers en 2024. Parmi ces réclamations, les trois quarts portent sur les titres de séjour. Enfin, la forte majorité de ces demandes (trois quarts également) portent sur des renouvellements de titres de séjour, concernant donc des personnes qui vivent déjà en France et bénéficiaient déjà d’un titre régulier.
Les délégués du Défenseur des droits sont quotidiennement confrontés à des situations de ruptures de droits inacceptables.
Des atteintes massives et graves aux droits
Dans une décision du 3 juin 2022, le Conseil d’Etat a jugé que le dépôt d’une demande de titre de séjour via l’ANEF ne pouvait être imposé qu’à la condition de garantir un accès normal au service ainsi que l’effectivité des droits. Cela implique d’accompagner la dématérialisation de services d’accueil et d’accompagnement spécifiques, notamment pour les personnes éloignées du numérique, et de garantir la possibilité de recourir à une solution de substitution lorsque le dépôt dématérialisé de la demande s’avère impossible malgré cet accompagnement (par exemple, le dépôt physique d’un dossier).
Le Défenseur des droits observe dans ses réclamations que les personnes étrangères contraintes de recourir à l’ANEF pour le dépôt de leur demande de titre de séjour se heurtent à de nombreuses difficultés que les services d’accueil et d’accompagnement mis en place, tels que le Centre de contact citoyen (CCC) et les Points d’accueil numériques (PAN), ne permettent pas de surmonter : échanges infructueux avec le CCC, complexité d’accès aux PAN, manque de qualification du personnel, manque d’effectifs, prérogatives insuffisantes de ces services pour lever les blocages… Et, le droit de déposer la demande par un autre canal est bien souvent entravé.
Le risque est pour les personnes empêchées d’accéder à une démarche ou de la finaliser, de finir par se retrouver sans preuve de leur droit au séjour. Or, la perte de ce droit peut engendrer d’autres ruptures de droits, en particulier économiques et sociaux : perte du droit de travailler, perte d’emploi, suspension des prestations sociales, perte du logement ou encore des difficultés d’accès aux soins.Dans tous les cas, les défaillances constatées ont pour effet de maintenir les personnes concernées dans une situation administrative incertaine et précaire durant plusieurs mois voire années pendant lesquelles elles se voient contraintes de suspendre ou reporter nombre de projets, tant professionnels (stages, formations, changement d’emploi, etc.) que personnels (déménagement, visite familiale à l’étranger, etc.), qui nécessitent de pouvoir justifier d’un droit au séjour.
Les recommandations opérationnelles du Défenseur des droits
L’ampleur et la gravité des atteintes aux droits constatées par le Défenseur des droits imposent l’adoption de mesures urgentes. Sans remettre en cause la possibilité d’un dépôt dématérialisé des demandes de titres de séjour, la Défenseure des droits émet 14 recommandations pour faire de l’ANEF un réel outil de simplification au service des usagers, parmi lesquelles :
- Intégrer dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile une disposition reconnaissant le droit de réaliser toute démarche par un canal non dématérialisé, sans condition préalable,
- Automatiser le renouvellement automatique des attestations de prolongation d’instruction (API) et créer, pour les personnes sollicitant la régularisation de leur situation administrative, une attestation dématérialisée créatrice de droits délivrée après vérification de la complétude du dossier,
- Améliorer l’information donnée aux usagers sur les sites internet des préfectures, quant aux modalités de dépôt des demandes de titres et la mettre à jour régulièrement.