Situation et difficultés des migrant·e·s LGBT+ en Guyane

Association pour la défense des droits des personnes LGBTQI+ à l'immigration et au séjour

Situation et difficultés des migrant·e·s LGBT+ en Guyane

Kaz’Avenir LGBT+ est une nouvelle association loi 1901 gérée par plus d’une dizaine de bénévoles déjà expérimenté·e·s dans l’accompagnement social et administratif des demandeur·se·s d’asile LGBT+. Elle vient en aide à toutes les personnes LGBT+ et/ou victimes de LGBTphobies, peu importe l’âge, la situation administrative ou le parcours. L’association se développe très vite et met en place des actions variées afin de répondre aux besoins de ces populations : hébergement, accompagnement, écoute, sensibilisations, etc.

L’Ardhis lui ouvre ses pages (numériques). L’association, qui réalise un formidable travail de terrain, évoque ici la désastreuse situation en matière de droit d’asile : en Guyane, la situation des migrant·e·s LGBT+ est particulièrement inquiétante et celles et ceux-ci font face à des difficultés pires encore que dans l’Hexagone.

Profitons-en également pour rappeler que, pour l’administration, la Guyane est un formidable terrain d’expérimentation concernant la carte ADA (allocation pour demandeur d’asile), la visioconférence pour les audiences CNDA qui a été étendue à certaines régions françaises par la loi de 2018, ou la réduction des délais de la procédure, contre laquelle l’Ardhis a participé à une action contentieuse interassociative.

Par Joel Takv — Travail personnel, CC BY-SA 2.5, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1796180

Le contexte guyanais

On ne peut pas comprendre la situation des migrant·e·s LGBT+ sans comprendre le contexte guyanais, bien différent de celui de l’Hexagone.

La Guyane est un territoire d’un intérêt unique pour l’Europe, la biodiversité est particulièrement préservée et les ressources naturelles sont exceptionnelles, mais il est aussi important d’être lucide sur les graves dysfonctionnements et retards que subit ce territoire français d’Amazonie, grand comme le Portugal, qui compte officiellement 296 711 habitant·e·s (Insee 2019), contre 73 000 habitant·e·s en 1982 — selon certaines ONG, il y en aurait en réalité environ 400 000 aujourd’hui.

La population croît rapidement et est très jeune : une personne sur deux a moins de 25 ans. Malgré le dynamisme de cette jeunesse, le territoire fait face à une grande précarité puisque 23 % de la population vit avec moins de 550 € par mois, contre 2 % en Hexagone alors que la vie est environ 20 % plus chère en Guyane. Enfin, 57 % de la population en âge de travailler est inactive ou au chômage alors que Cayenne, par exemple, figure régulièrement dans les « top 10 » des communes françaises où l’on paye le plus d’ISF. Les inégalités y sont donc très fortes.

Les personnes étrangères, quant à elles, représentent au moins 40 % de la population. Les demandeur·se·s d’asile sont également nombreux·ses : 2 085 demandes d’asile en 2017, 5 089 en 2018 et 3 056 en 2019. En moyenne, 10 % seulement de ces demandes débouchent sur une protection (statut de réfugié·e ou protection subsidiaire), et 5 % seulement des recours devant la CNDA ont une issue positive.

En Guyane, la vie des personnes LGBT+ est, à bien des égards, plus difficile qu’en France hexagonale, mais bien plus sécurisante que dans les pays voisins. La plupart de ces personnes arrivent de pays des bassins amazoniens et caribéens dont une grande partie discrimine les personnes LGBT+ :

  • En Haïti, les personnes LGBT+ sont en grand danger. Être « masisi » ou « madivine » (noms vulgaires donnés aux gays et lesbiennes), c’est risquer la mort à chaque instant.
  • En République dominicaine, la population trans subit d’importantes discriminations et violences policières.
  • Au Suriname (ancienne « Guyane hollandaise »), la situation évolue, mais le pays peine à protéger les personnes LGBT+.
  • Au Guyana (ancienne « Guyane anglaise »), l’homosexualité est toujours passible de la prison à perpétuité.
  • À Grenade, les personnes homosexuelles risquent 10 ans de prison.
  • Au Brésil, la situation politique est de plus en plus inquiétante et les LGBT+ noirs subissent souvent une double discrimination.

Enfin, il y a des personnes, notamment LGBT+, qui arrivent plus ponctuellement d’autres pays comme la Syrie, Cuba, Guinée-Bissao…

Les difficultés rencontrées par les demandeur·se·s d’asile LGBT+

Les problèmes rencontrés par les migrant·e·s LGBT+ sont nombreux, les dysfonctionnements dans leur accueil sont graves et les droits humains bafoués.

Aucun hébergement d’État

La situation n’est pas brillante en métropole, mais en Guyane, il n’y a tout simplement aucun centre d’accueil pour demandeur·se·s d’asile (Cada). Seule la Croix-Rouge propose quelque 150 places d’hébergement aux demandeur·se·s d’asile pour 6 000 demandes en moyenne.

La Guyane a été la triste précurseure de la réforme de l’allocation aux demandeur·se·s d’asile (ADA) qui sévit à présent en métropole : cette allocation est versée sur une carte qui permet seulement des achats alimentaires dans les commerces. Les demandeur·se·s d’asile n’ayant accès à aucun hébergement du fait des déficits en structures d’État, la seule solution était donc de payer des logements illégaux dans des bidonvilles à des marchand·e·s de sommeil, grâce à leur ADA. Ceci n’est donc plus possible aujourd’hui, aggravant la précarité et la détresse de ces personnes.

D’autres difficultés pèsent encore sur les migrant·e·s LGBT+ : les primo-arrivant·e·s sont souvent hébergé·e·s par la diaspora de leur pays déjà présente, ce qui n’est pas le cas des personnes LGBT+ qui sont discriminées au sein de leurs propres communautés.

Ils et elles sont alors confronté·e·s aux LGBTphobies d’une part et à la xénophobie d’autre part. Ils et elles se retrouvent de fait totalement isolé·e·s.

Résultat : plus de 90 % des demandeur·se·s d’asile LGBT+ qui nous contactent sont hébergé·e·s ou ont eu une proposition d’hébergement en échange de « services sexuels ».

Des difficultés sociales et alimentaires constantes

La Croix-Rouge, qui gère l’accueil des demandeur·se·s d’asile, fonctionne avec des services sous-dimensionnés (hors médical) face aux demandes.

Le parcours pour bénéficier des services de « droit commun » est donc souvent chaotique : pour ouvrir ses droits santé, il faut commencer à faire la queue à 3 h du matin devant la CGSS (Sécurité sociale) avec des délais de traitement particulièrement longs.

Les dispositifs d’aide alimentaire sont quasi-inexistants : quatre colis par an et par personnes, avec sept à dix produits au mieux. L’aide alimentaire s’est multipliée lors de la crise CoVid, mais diminuera probablement ensuite.

Des mineur·e·s livré·e·s à elles et eux-mêmes

En ce qui concerne les mineur·e·s isolé·e·s LGBT+, même situation : l’aide sociale à l’enfance (ASE) est en déficit extrême de personnels. Sur la plus grande partie du territoire, l’ASE n’y est même pas présente. Les signalements débouchent rarement sur des actions, les mineur·e·s sont laissé·e·s dans la nature, livré·e·s à elles et eux-mêmes.

Un accès aux droits largement insuffisant

Il n’existe aucun dispositif précis et viable pour accompagner les demandeur·se·s d’asile LGBT+ qui sont en Guyane. La Cimade peine à développer ses ressources humaines, et ses actions se sont pour la plupart concentrées sur le Centre de rétention administrative (CRA).

Faute de structures étatiques en mesure de les orienter rapidement, certain·e·s migrant·e·s n’ont simplement pas connaissance de leurs droits, ce qui est souvent le cas pour les populations isolées comme les femmes trans, travailleuses du sexe arrivant du Guyana ou de République dominicaine : elles ignorent la possibilité de demander l’asile et témoignent souvent de leur peur d’être tuées par la police, l’Ofpra… Le manque d’information et de sensibilisation est criant.

Les spécificités guyanaises de la demande d’asile LGBT+

La mission permanente de l’Ofpra en Guyane

Les demandeur·se·s d’asile doivent généralement remplir seul·e·s leur dossier Ofpra, sans avoir le temps ou la possibilité de faire traduire leurs documents (ce qui est obligatoire), et l’adresser dans un délai de 7 jours (contre 21 jours en Hexagone).

Cette rapidité de traitement des demandes d’asile peut être bénéfique pour des demandeur·se·s qui savent s’exprimer clairement et qui connaissent les démarches à entreprendre : si tout se passe bien, une personne peut bénéficier du statut de réfugié·e moins d’un mois après son arrivée en Guyane.

Malheureusement, un grand nombre des demandeur·se·s d’asile LGBT+ sont rejeté·e·s, car ils et elles n’ont pas pu s’exprimer correctement du fait d’un délai trop court pour rédiger leur parcours de vie et/ou n’ont pas compris le cadre exact d’une demande d’asile et les attentes de l’Ofpra.

Lors de leur entretien avec un·e officier·e de protection, les problèmes de traduction sont également fréquents et les demandeur·se·s d’asile peinent à s’exprimer clairement du fait des traumatismes, de l’homophobie intériorisée, du manque de confiance envers l’interprète membre de sa communauté, etc., difficultés souvent mal interprétées par l’Ofpra qui, il est vrai, tente localement de faire évoluer ces points négatifs.

Une audience à la CNDA en visioconférence

Si sa demande d’asile est rejetée par l’Ofpra, la personne doit contester cette décision auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et c’est à Montreuil (siège de la CNDA) que les recours des demandeur·se·s d’asile guyanais·e, sont instruits, les audiences s’effectuant en visioconférence depuis le tribunal administratif de Cayenne.

Mais avant même d’espérer se présenter à leur audience, les personnes vivent un véritable parcours du combattant pour constituer un dossier : elles manquent d’informations, ne connaissent pas leur droit en matière d’aide juridictionnelle et les rares avocat·e·s acceptant d’aider ce public n’ont généralement aucune connaissance des problématiques LGBT+ et sont surchargé·e·s de dossiers.

Résultat : les demandeur·se·s d’asile ne trouvent pas d’aide pour constituer un recours CNDA et leur demande se clôture généralement par un rejet du recours — et même très souvent par ordonnance (le·a président·e de la formation a en effet l’opportunité de rejeter le recours sans même entendre le·a demandeur·se d’asile). Dès lors, les personnes LGBT+ seront donc souvent livrées à elles-mêmes pendant plusieurs années avant de trouver d’autres solutions (titre de séjour, départ vers un autre pays, etc.).

La situation des réfugié·e·s

Pour les réfugié·e·s statutaires, la situation reste tout autant complexe et, contrairement à ce que l’on pense, leur situation ne s’améliore pas toujours à l’obtention de ce titre du fait des difficultés sociales présentes en Guyane.

Les dispositifs d’insertion sont peu nombreux, surchargés et souvent inadaptés aux réfugié·e·s. Il n’y a aucune structure spécifique pour aider et orienter les réfugié·e·s ou les aider à s’insérer. De plus, l’Ofii refuse catégoriquement d’aider ces dernier·e·s à transiter vers l’Hexagone afin de bénéficier de dispositifs d’insertion adaptés.

Le Centre communal d’action sociale (CCAS) de Cayenne ne compte… aucun travailleur social (probablement un des seuls dans ce cas en France — imaginez un hôpital sans médecin…).

Les banques refusent les ouvertures de compte et cela se finit généralement devant le Défenseur des Droits. L’accès à l’emploi est également très limité…

Pour les personnes trans, d’autres difficultés encore s’ajoutent à cette liste : des institutions inadaptées et non sensibilisées, un système médical sous-dimensionné, l’absence de chirurgien esthétique, aucun praticien n’acceptant de faire des opérations qui peuvent être liées à un parcours de transition, faute de moyens pour les soins de bases. Fuir le territoire pour l’Hexagone est alors la seule solution, malheureusement.

La principale cause de départ vers l’Hexagone des LGBT+ guyanais est la pression familiale, et pour l’ensemble des personnes LGBT+ présentes en Guyane, les discriminations restent très présentes et pesantes.

Des pistes possibles

Pourtant, des solutions possibles à mettre en place existent. Mais il manque une volonté politique forte afin de répondre aux besoins et enjeux du territoire.

Pour faire face et respecter les réglementations nationales et internationales en matière d’accueil des migrant·e·s et demandeur·se·s d’asile qui arrivent en Guyane, il faudrait, à minima :

  • plus de moyens financiers et humains de l’État ;
  • des CADA, avec un réel accompagnement social ;
  • des dispositifs spécifiques d’aide aux associations afin de répondre aux carences de l’État et aux spécificités territoriales ;
  • des dispositifs d’insertion pour les réfugié·e·s ;
  • plus d’intérêt de la part des ONG (HRW, ONU, etc.), car la Guyane fonctionne comme un territoire en voie de développement (dans les pays en voie de développement, des programmes spécifiques et une attention particulière des ONG est en place, ce qui n’est pas le cas en Guyane : personne ne s’y intéresse parce que c’est loin et c’est la France, donc RAS…
  • le développement d’une solidarité citoyenne forte, mais encore trop peu présente.

Du côté de Kaz’Avenir, l’association a besoin de trouver des locaux et des financements afin de pouvoir stabiliser ses actions et offrir un lieu d’accueil au public.

Kaz’Avenir